Mon grand-père, qui avait fait la guerre – la Grande –, et qui s’en était sorti par miracle, chantait volontiers L’Internationale avec ses compagnons d’un autre combat lors de soirées tout autant militantes qu’arrosées. Afin de dissiper tout malentendu sur son engagement, il avait baptisé son chien Jaurès et sa chatte Rosa Luxembourg… Ainsi chacun savait à qui il avait à faire !
Toutefois, dans le giron familial, notamment en ma compagnie, il savait se tenir et n’a jamais cherché à me faire partager les convictions avec lesquelles il fut enterré fort… civilement. Nonobstant cette pudeur et délicatesse, tel un bon disciple de Jules Ferry, il semait souvent en moi de la graine de libre arbitre, m’offrait quelques clés pour penser par moi-même. S’il se montrait toujours tolérant et généreux, patient et pédagogue, il y avait un sujet et un seul sur lequel il ne transigeait pas. C’est ce qu’il appelait « le paquetage de l’honnête homme ».
On peut en résumer le contenu dans une chanson qu’il m’avait apprise alors que j’avais à peine cinq ans et qui faisait :
« Si tous les gars du monde
Devenaient de bons copains
Et marchaient la main dans la main
Le bonheur serait pour demain.
Ne faites pas de différence
Ne dites pas qu’il est trop blond
Ou qu’il est noir comme du charbon
Ou bien qu’il n’est pas né en France
Aimez les “ n’importe comment ”
Même si leur gueule doit vous surprendre
L’amour c’est comme au régiment
Il faut pas chercher à comprendre. »
Ne pas chercher à comprendre l’amour, mais naturellement l’accepter et le répandre. Ne pas faire de différence. Jésus Christ n’aurait pas dit mieux. Il devait appartenir à la même cellule militante que celle de mon grand-père !
Celui-ci, également artiste à ses heures, aimait travailler le bois, le façonner, le ciseler, surtout des bustes de femmes de toute origine, de tous les pays, de toutes les couleurs. Magyares, Hottentotes, Esquimaudes ou Annamites, ses vénus dodues, surtout de la mamelle, ne me laissaient pas… « de bois ».
Vers la fin de sa vie, comme on rédige un testament métaphorique, il m’avait offert un bébé poupin, rondelet, sculpté dans de l’ébène. Un petit blanc né d’une essence noire. Un métis, un mulâtre, un sang-mêlé.
En me l’offrant, il me déclara : « L’internationale sera le genre humain… et je ne parle pas de politique ! La sagesse viendra du mélange des hommes.»
Je l’ai cru. Je le crois.
Beau credo, je partage.
Merci Michel.