Le temps passe, broie, foudroie…
Ce jour-là est le fruit d’un été indien : soleil intime, légère froidure.
Celle qui revient a passé l’essentiel de sa vie fort loin du village. La voilà donc. Dans un quart d’heure elle y sera. Il est temps. Elle a quelques comptes à rendre à sa mémoire. Il lui faut la toiletter, la frictionner, qu’elle se refasse une beauté et sente bon.
Il lui faut revenir sur les lieux de l’histoire. Elle fut partie prenante, mais de façon si singulière. Et puis on le lui a demandé…
Depuis la gare, elle a pris le car. Il n’a cessé de s’arrêter pour desservir essentiellement des zones pavillonnaires qui ont pris la place des champs, des marais, des bois. Il y a des échangeurs, des carrefours giratoires, des feux tricolores…
Elle regarde le paysage, ne le reconnaît pas. Non, elle n’est rien dans cette histoire, ou peu de choses. Peut-être rencontrera-t-elle celle ou celui à qui le dire ? Alors, elle se dévoilera.
Cela lui fera du bien de dire, enfin, qui elle est et ce qu’elle sait. Elle n’est pas sûre d’oser. On verra.
L’affaire n’est pas si simple. En tout cas, s’il n’y a qu’une seule chose à retenir, que ce soit celle-ci : cette histoire est vraie, réelle, authentique. Aucun des personnages, aucun des faits n’est inventé. Ce n’est pas un roman. Elle déteste les romans, les histoires romanesques. Elle hait la fiction, abhorre les faits et les sentiments qu’on invente.
Ce sont des mensonges.
Elle s’appelle Colombine.
Elle descend du car.
C’est seulement à cet instant qu’elle se rend compte qu’elle n’a rien aperçu de l’ancienne forêt, si ce n’est quelques îlots boisés aux arbres bien rangés autour de pelouses méticuleusement entretenues, de terrains de sports nickel, de parcours de santé proprets, autour d’un parc animalier, d’une école d’équitation, de plusieurs hôtels. L’un deux s’appelle l’hôtel de la Ruinière. Elle y prendra pension. Le village s’est fondu dans la cité qui le dévore. Il touche de ses dernières maisons les premières du village voisin. Les grosses fermes sont encore là, mais plus les terres, toutes construites.
Ce n’est plus un village : c’est un lambeau de banlieue résidentielle.
Ce bouleversement navre Colombine. En guise de souvenirs, c’est le vide qui l’épie.
Ah ! L’église est toujours là, toujours vieillotte. Le cœur du village est à peu près inchangé. La rue principale est bordée des mêmes maisons.
Colombine se sent un peu perdue. Elle aurait aimé que dès son arrivée au village un miracle se produisît. Qu’elle y rencontre, sans avoir à chercher, celle ou celui qu’elle espère retrouver…
Elle est désorientée. Si elle est venue jusque-là, ce n’est pas pour verser le moindre pleur sur sa jeunesse. Elle voudrait simplement rencontrer quelqu’un, un survivant s’il en est. N’importe lequel. Elle aurait des choses à lui confier. Elle s’y est engagée.
Elle poussera jusqu’à la ville. Colombine y est née. Elle l’aimait surtout mouillée, surtout brillante sous la pluie. Elle aimait les cieux lourds et leurs gros chagrins. Elle s’y promènera. Sa vieille petite silhouette, élégante, raffinée, trottinera dans le vieux quartier.
Elle y rencontrera peut-être celle ou celui…
Cela lui ferait du bien de dire, enfin, qui elle croit être et ce qu’elle pense savoir. Elle n’est pas sûre d’oser, de bien se souvenir. On verra.
Si c’est possible…
Oh! que c’est beau… que c’est juste… j’aurais aimé que ça continue…
Merci Sylvie.
Peut-être y aura-t-il une suite…
Ça m’est arrivé que ce genre de texte bref, quasi instantané, me serve de point de départ pour un développement. Mais il me faut alors du temps pour la maturation !
Très beau texte, Henri. As-tu lu « Sur une majeure partie de la France » (éd.JC Lattès) un très beau et triste roman de Franck Courtès (ancien photographe) sur la transformation des campagnes en banlieues ? Cette nouvelle m’y fait penser et me touche beaucoup car chez nous aussi, peut-être encore plus qu’en France, la ruralité est rongée de partout par le béton, les « zonings » industriels et les centres commerciaux. Grrr… Amitiés, Michel 😉
Merci Michel. Non je n’ai pas lu le roman que tu évoques. J’en prends note. Oui, nos pays s’abîment – ou plutôt sont abîmés. Cela m’attriste et me met en colère aussi. Campagnard d’origine et de cœur, quand je retourne dans mon bocage, celui-ci peu à peu s’estompe. Les arbres dans lesquels je construisais des cabanes pour fumer en cachette des américaines ont été coupés… Nostalgie…
Moi au moins, j’ai commencé par fumer du belge 😉 des Belga et des Zémir … des américaines, non mais quoi !
Des Belga, des Zémir ? Tu jouais p’tit bras ! Nous, en période faste, c’étaient des « High Life » sans filtre vendues par paquet de 10 (c’était moins cher, quand même).
Cela dit, en période de disette, nous nous rabattions sur les Parisiennes ou P4, vendues pour trois fois rien par paquet de 4 et dont il était dit qu’elles étaient fabriquées à partir de mégots !