Henri Girard
Auteur de romans et de nouvelles

Au village, tous les dimanches à dix heures pétantes, on assistait à la floraison d’une cinquantaine de chapeaux venus du bourg et des hameaux environnants ; l’ensemble convergeait
vers la modeste église romane dans laquelle le flot chapeauté s’engouffrait. Trottinaient audessous des coiffures, dont certaines exagérément voyantes et d’autres défraîchies, des femmes de
tous âges et de toutes conditions, de la douairière pomponnée et orgueilleuse comme une Castafiore, à la souillon, gauche comme une Bécassine, veuves ou vieilles filles, et une mince
majorité accompagnée d’un mari modérément enthousiaste.
Berthe Patagru, nantie d’un arrière-train de percheron, d’une poitrine incontrôlable et vêtue d’une robe fanée couleur vieille gaine, dont les épousailles avec Robert dataient d’avant leur
guerre froide et durable, tenait son époux avec la puissance d’un catcheur cherchant d’une clé de bras à immobiliser son adversaire. Robert freinait des quatre fers comme un verrat qu’on mène à
l’abattoir ou un marmot pas sage qu’on veut emmener à l’école contre son gré. Cependant, eu égard à la différence de poids en sa défaveur, il n’en pouvait mais. Du haut de son orgueil d’un
mètre soixante et de cinquante kilos tout mouillé, il abdiquait, moustaches en berne et mine déconfite.
Une fois tout ce joli troupeau installé, les yeux impatients fixèrent l’autel dans l’attente du lever de rideau dominical. Ceux de Robert ricochaient sur les bas de dos des moins âgées des
dames en constatant qu’ils avaient plus de tenue que celui de sa virago.
En aube et surplis, l’étole élégamment portée, apparut M. le Doyen, l’allure immodeste et le pas quasiment aérien, une tête à vouvoyer son chien. Il était chauve et sa calvitie, qui lui évitait la
corvée de la tonsure, lui conférait, du point de vue de Berthe, une virilité, une confiance en soi quasi zénithales, à l’instar de Yul Brynner ou de Monsieur Propre, bref, l’exact opposé de Robert.
« Gloria in excelsis Deo », murmura-t-elle pendant que Robert zieutait encore et toujours les fessiers les plus rebondis. C’était là le seul loisir dont Berthe ne pouvait le priver et qu’il ne
confesserait jamais, même sous la torture.
Après les préliminaires, vint enfin le prêche ! Il faut dire que notre Doyen excellait en matière de volubilité ! L’auditoire tendit l’oreille.
« Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, ce jour est un grand jour ! En effet, notre évêque – rendons grâce à Dieu – nous a offert une magnifique sculpture en stuc de Marietoujours-vierge tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. Nous devrions la recevoir d’ici quelques jours. Oui, mais voilà, j’ai un souci que j’aimerais partager avec vous. Je n’ai pas l’ombre d’une idée de l’emplacement où nous pourrions l’installer dans notre église de telle sorte qu’elle la darde de sa beauté céleste. J’ai bien pensé la placer auprès du baptistère, mais elle n’y serait guère visible et ce serait vraiment dommage. Et puis, il y aurait un problème de passage vers les fonts baptismaux… Alors, près de la chapelle Saint Louis ? Exiguë… »
Robert, ça commençait à l’énerver, toutes ces élucubrations dont il se fichait comme de sa première scène de ménage avec Berthe qui elle, extatique, buvait les paroles du prêtre. Ça l’empêchait de se concentrer sur ses œillades.
« J’ai bien pensé aussi à installer notre Vierge dans la sacristie, mais ce serait vous priver du bonheur de la contempler. Ah ! Quelle dure épreuve ! »
Et ça durait, et ça durait…
Robert, exaspéré par le prêchi-prêcha du curé, explosa au sortir d’un songe en compagnie de Tahitiennes à la tête et au cou fleuris dansant un tamouré d’un torride exotisme :
« Eh bien, j’vas vous en donner une solution ! Mettez-la donc à ma place, parce que moi, je
m’en vas ! »
Berthe s’évanouit.